Il est 18h, je viens de quitter Eccomoy en direction de St Mars d'Outillé ; encore quelques centaines de mètres de dénivelé et le domaine d'Eric apparaît sous mes yeux fatigués par l'air que mon vieux casque manqua de retenir. Les 500 et quelques kilomètres que je viens de parcourir m'ont quelque peu fourbus mais déjà j'entr'aperçoit l'atelier par la porte de bois restée ouverte et ne peux m'empêcher de penser que bientôt j'y salirai mes doigts pour mon plus grand plaisir et celui de ma Christina chérie.
Arrive Cloé, la toute jeune fille d'Eric, que le feulement du desmo a prévenu et qui m'accueille à l'intérieur alors que le maître des lieux finit de préparer le repas du soir sous l'œil bienveillant de Citrouille la chatte et son jeune châton. Le temps de béquiller ma belle et ainsi lui offrir un repos bien mérité, et je pénètre les lieux. Ces derniers dégagent à la fois une impression de vétusté et de robustesse, bien en rapport avec les magnifiques divas que recèle l'endroit. A ma gauche trônent sur le mur moult photos prises sur le vif d'Eric en pleine courbe à l'occasion de quelque course d'endurance passée, ainsi que des morceaux choisis de l'Echo des Contis - le magazine du Ducati Club de France dont il est membre - mais aussi quelques pièces de valeur présentement inutiles dont un set de poignée Brembo, un maître-cylindre de frein, quelques pignons de chaîne et diverses pièces d'éclairage. Au sol traînent quelques outils autour d'une paire de jantes magnésium, signe on ne peut plus caractéristique des hautes ambitions d'Eric en matière de compétition.
Les présentations faites, je m'entretiens un instant avec le propriétaire des lieux qui me dit devoir s'occuper de faire réciter ses leçons à sa fille le temps que revienne sa compagne du travail. Je m'occupe en attendant d'éplucher les patates en prévision du hachis parmentier maison du soir, et fais son sort à la bière que mon nouvel ami ducatiste me servit tantôt.
Une demi-heure plus tard, Myriam fait son apparition, et Eric m'invite à le suivre dans son atelier ; c'est avec une émotion peu dissimulable que je m'exécute et découvre non sans stupeur une des plus belles collections qu'il m'ait jamais été donné de voir.

Devant moi trône une magnifique Ducati 250 Desmo de 1973 dans ses couleurs d'origine - si ce n'est l'adaptation d'un numéro propre à la compétition - alimentée par un Dell'Orto de 32 en remplacement de celui de 29 d'origine.

Un peu en retrait, une authentique BMW Série2 à couples coniques meuble plus qu'agréablement le garage, en compagnie de son side associé - lequel servit à transporter le fils d'Eric maintenant âgé de 18 ans alors qu'il n'avait encore que 2 mois, à l'occasion de concentres et autres balades du temps qu'on savait encore faire des motos. A noter que cette dernière beauté a récemment subit la greffe d'un nouveau réservoir qui a encore besoin d'être repeint en blanc, mais une autre Série2 que nous sortirons plus tard pour faciliter l'accès aux outils, celle-ci entièrement blanche, occupe le garage aussi. Eric m'avoue qu'il s'agit de celle de son fils et je ne peux qu'applaudir pareil bon goût !

Devant cette dernière, une impressionnante Darmah vêtue de noir et or me rappelle que Ducati, en plus d'avoir su s'imposer dans le domaine de la compétition, n'a pas attendu son rachat par TPG pour créer des motos alliant confort et performances. Mais le meilleur reste à venir en la présence de deux vraies bêtes de circuit.

La première qui fut, après la 250 Desmo, sa deuxième moto de circuit, contenait il y a encore peu le moteur 900SS que nous allions nous atteler à substituer au mien. Elle a depuis adopté un moteur de ST2 acheté d'occasion, pouvant se permettre de supporter ses 944cm3 du fait d'un refroidissement par eau plutôt que par air - et résolvant ainsi le problème qu'encouru Eric après avoir vu casser des moteurs de SS gonflés à 944 voire 984cm3. Le collecteur est un spaghetti et la ligne une 2en1, fort efficace à défaut d'être très esthétique.

La seconde (encore à l'état de prototype) adopte le cadre d'une 888 et contient avec peine ce qui fut tantôt un moteur de série de 916, désormais gonflé - après des années de travail et d'investissement personnel - afin de fièrement afficher 154ch à la roue arrière (!) pour un total de 140kg sur la balance hors pleins d'huile et d'essence. Un monstre hors-norme qu'Eric espère voir un jour son fils conduire puisqu'il court sur circuit depuis quelque temps déjà, en attendant de pouvoir s'attaquer à la compétition dans la digne lignée de son pilote de père.

Mais assez halluciné, il se fait tard et nous allons manger. Eric me propose d'ouvrir une bouteille de sa cave fort bien garnie, tandis que Myriam installe les couverts assistée par sa fille. C'est finalement un bon crû de 95 qui nous accompagnera le temps de ce repas aussi copieux qu'excellent. Les plats se suivent mais ne se ressemblent pas ; le hachis est délicieux, le fromage meilleur encore, et les fruits du jardin. Eric et moi n'avons de cesse de retracer la légende de notre marque fétiche tandis que Myriam rit des souvenirs des balades passées auxquelles Eric la convia tour à tour sur la Darmah, puis la Série2, puis une 750SS dont il dut se débarrasser par besoin d'argent et qu'il regrette aujourd'hui. Force est de reconnaître que vendre une Ducati revient presque à vendre un de ses enfants, et je commence à comprendre que les ducatistes n'arrivent jamais à se " séparer de leurs ex… "

Sur le coup de minuit, Myriam va se coucher ; Cloé dort pour sa part depuis un petit moment déjà, bercée qu'elle fut par nos histoires de ducatistes passionnés… nous continuons pour notre part à discuter et partager notre savoir autour de morceaux choisis d'exemplaires plus ou moins récents de l'Echo des Contis, et nous trouvons plusieurs amis communs à notre plus grande surprise.
Il est presque 4h du mat' quand nous nous décidons finalement à aller nous coucher ; Eric m'indique le chemin de ce qui sera ma chambre pour la nuit à venir, et je sombre dans l'univers des rêves motards après une dernière clope fumée sous la voute étoilée dont la vie en banlieue de Lyon m'avait presque fait oublier la beauté.

Il est à peine 9h quand je rouvre les yeux, dans l'expectative d'une journée qui s'annonce dors et déjà fantastique. Ni moi ni Eric ne pouvons attendre de mettre la main à la pâte, et le petit déjeuner est avalé en un rien de temps. Mon hôte a déjà revêtu son bleu de travail et ses chaussures de sécurité, j'ai pour ma part mis un t-shirt que je n'aurai aucune peine à voir sali. Il est bientôt 10h quand Myriam quitte la maison avec Cloé que l'école attend et nous nous dirigeons vers l'atelier d'un pas vif. La radio installée sur place émet de la musique pop-rock entraînante à défaut d'être vraiment fantastique, les informations sont mauvaises mais le contraire nous eut étonné… nous pouvons nous mettre au travail.

Si toi, ami lecteur, n'a décidément rien à fiche de la section technique, je t'autorise à faire l'impasse dessus en cliquant sur le lien à venir, ce qui aura pour effet de t'emmener directement au moment du départ, après montage de l'équipement racing. Tu loupes vraiment quelque chose mais c'est ton problème… voici le lien !

En moins de temps qu'il faut à une 600SS préparée pour enrhumer quelque supersportive japonaise de la production actuelle, la belle est stabilisée sur béquille d'atelier et montée sur support à vérins hydrauliques. Le carénage est retiré en quelques secondes, exposant les parties intimes de ma belle. Commence alors le débranchement des câbles de batterie, des durites, des bougies et autres câbles susceptibles de gêner à l'extraction du moteur d'origine. Très vite la boîte à air est démontée, l'arrivée d'essence neutralisée, la batterie retirée, la rampe de carburateurs ôtée. Les Mikuni trouvent leur place dans un coin de la pièce et je ne peux m'empêcher de les bouder tant les Keihin me font de l'œil depuis mon arrivée, fiers qu'ils sont au milieu de l'établi. Vient ensuite l'extraction des échappements puis du collecteur qui nous en a bien fait baver tant les écrous avaient été serrés. Restent à démonter le radiateur d'huile, le régulateur, et le couvercle du pignon de chaîne secondaire, puis à immobiliser la moto de l'arrière car le moteur, porteur, tient véritablement la belle en un seul bloc et s'avère nécessaire à sa tenue droite. La poignée du passager fait office d'attache à la sangle qu'Eric et moi fixons au sommet d'un grand escabeau amené en arrière de la moto, et le temps d'extraire la barre de maintien principale que cachent deux opercules plastique, le moteur est libéré. Nous l'avons évidemment tantôt assuré au cadre à l'aide de deux grosses sangles afin qu'il ne tombe pas d'un coup, tout lourd qu'il est ; et c'est petit à petit que nous le descendons aussi précautionneusement qu'on peut s'occuper d'un fils en bas âge.

Le desmo pèse son poids et nous ne sommes pas trop de deux pour le déplacer dans un coin du garage afin de libérer l'espace…

Une poignée de photos et quelques rasades de bière plus tard - brune et de qualité, cela va sans dire - nous nous remettons au travail et hissons le Raymond Roche replica à hauteur de cadre, toujours assisté par ces sangles qui nous servirent tantôt. La moto reprend fière allure ainsi remontée, et je ne peux attendre de passer à l'installation des FlatCR qui n'ont pas cessé de me faire de l'œil depuis tout à l'heure.
Mon œil expert ne peut s'empêcher de remarquer que tous les écrous sont assurés de fil métallique - norme de compétition oblige afin d'éviter de les perdre sur les pistes à cause d'éventuelles vibrations trop fortes à l'approche du rupteur. Les pipes d'admission ne sont pas d'origine et leur courte taille laisse entrevoir les conduits entièrement polis afin d'à la fois faciliter le passage des gaz et minimiser les frottements, et je frémis à l'idée de savoir que dans quelques heures je pourrai essayer une moto ainsi configurée… Un moment d'égarement m'amène à questionner Eric quant à la puissance que peut développer un moteur ainsi préparé, et je vacille à l'entente de sa réponse.
Ma Ducati qui développe dans sa configuration homologuée 74ch, devait en développer pas loin de 80 grâce au filtre K&N doublé de mes échappements libérés. Eric m'explique que ce dernier moteur, avec les Keihin - test au banc à l'appui - en développe… 92. Ayant déjà mis du temps à m'habituer au couple ravageur du desmodue, je n'ose imaginer la façon dont je vais pouvoir les exploiter au quotidien ; il s'agira que je fasse vraiment gaffe. Mais beaucoup de travail nous attend encore, je fais donc en sorte de me remettre d'aplomb. Eric ne peut pour sa part s'empêcher de sourire devant ma mine décomposée et je le comprends bien !

Le moteur remonté et tous les câbles rebranchés, nous procédons à la réinstallation du collecteur et des échappements. Le régulateur est remis en place, il nous faut maintenant passer à l'installation des carburateurs. Je ne peux m'empêcher de pouffer en voyant l'autocollant apposé sur chacun d'eux stipulant " Motorcycle race use only " ; mais après tout, les Ducati n'étaient-elles pas d'abord des motos de course, péniblement adaptées à un usage sur routes ouvertes ? Il nous reste à trouver la position idéale pour les carburateurs, songeant que pour un résultat optimal les cuves doivent être autant à l'horizontal que possible. Après mûre réflexion et quelques doutes, nous optons pour une configuration aussi belle que peu commune, puisque le cornet du carburateur alimentant le cylindre horizontal pointe vers l'avant, alors que l'autre pointe vers l'arrière.
L'étape suivante concerne ma poignée des gaz, car celle d'origine de la moto utilise deux câbles sertis en un qui sert à la fois à l'ouverture et à la fermeture des carburateurs en tandem. Les Keihin requièrent bien sûr une poignée à tirage court et à commande indépendante pour chacun d'entre eux. Eric se propose de m'échanger ma poignée actuelle contre celle dont il se servait sur circuit et dont il n'aura plus l'usage maintenant qu'il a troqué mon moteur contre celui - injecté - du ST2 sur son prototype. Je ne conserve de la mienne que l'enveloppe antidérapante, car la sienne a été quasi sciée par les fils de fer que la compétition force à installer sur chaque moto afin d'éviter (à nouveau) toute perte en cours de course.
La poignée est une Tomaselli Daytona aussi belle que dure. Mais plus encore que sa dureté, c'est sa très courte allonge qui me surprend. On est très vite pleins gaz, il s'agira que je fasse vraiment gaffe…

Le plus pénible est derrière nous, mais il nous reste à remettre la batterie en place, ce qui n'est pas possible présentement compte tenu de la disposition des Keihin.
Ma boîte à air se retrouvant sans usage maintenant, Eric me propose de la couper histoire d'isoler le support de batterie, ce que j'accepte de le voir réaliser avec la plus grande impatience. Un coup de scie électrique plus tard, le boîtier est remis en place, bien plus déporté sur l'avant que préalablement, laissant au passage un espace conséquent aux carburateurs pour respirer. La batterie est remise en place, il ne nous reste plus qu'à installer les bobines du double allumage Kokusan, ce qui s'annonce corsé étant donné le peu d'espace restant dans le cadre de la SS. Mais c'était sans compter sur l'ingéniosité des ingénieurs de la marque bolognaise…

En plus d'offrir une rigidité exemplaire à l'ensemble, le treillis tubulaire qui forme le cadre a cette particularité propre d'offrir une grande facilité d'adaptation de pièces. Le temps ainsi de confectionner un support en alu et une entretoise adaptée, les bobines sont fixées, et le treillis s'accommode avec aise de ce dernier montage. Il ne reste plus qu'à rebrancher le démarreur et la Ducati pourra enfin feuler à nouveau ! Un grand moment donc, si ce n'est qu'un câble semble court-circuiter le faisceau, et Eric s'étonne de cet avatar tout autant que moi qui n'avais jamais pris la peine d'y jeter un œil auparavant. A y repenser maintenant, je suspecte mon Ducati Store préféré d'avoir sciemment " préparé " ma prochaine panne en agissant de la sorte - peut-être est-ce même cette négligence qui a fait rendre l'âme à mon précédent démarreur ? Tout est envisageable, mais je ne leur en parlerai pas ; quoi qu'il en soit, ils ne me reverront pas de sitôt si ce n'est pour commander des pièces neuves ! Je les imagine de toute façon mal travailler sur un moteur ainsi modifié…

Le câble restauré à la normale, Eric s'évertue à trouver le bon pôle. La revue technique préconise " fil bleu contre fil noir " mais nous n'avons sous les yeux que des fils rouges, et je maudis l'espace d'un instant Ducati de n'avoir su conformer leur câblage électrique d'une année sur l'autre. La première configuration n'est évidemment pas la bonne et un fusible saute. Par chance j'en ai de rechange et ça tombe bien car ce n'est pas le cas de mon ami ducatiste, à qui je n'aurais pas osé demander de se servir de ceux de ses motos même si je sais qu'il l'aurait fait en dernier recours. La fois suivante est la bonne et j'applaudis Ducati d'avoir conçu des motos si solliciteuses au démarrage, car si cette dernière avait démarré au quart de tour je n'aurais probablement pas eu le temps d'extraire des Keihin les chiffons que nous y plaçames tantôt afin d'éviter toute crasse d'y pénétrer, et nous étions bon pour un démontage complet du moteur !

Les cornets désobstrués, nous relançons le moteur et la moto peine malgré tout à démarrer. Quelques rotations de poignée plus tard - histoire d'injecter suffisamment d'essence pour palier au manque de starter forcé par les Keihin - et le desmo s'ébroue enfin dans un grondement qu'un tremblement de terre de suffirait à couvrir, non sans avoir auparavant laissé échapper une gigantesque et gratifiante flamme des échappements. Instant précieux parmi les précieux… Eric semble satisfait de son travail tandis que je frôle pour ma part l'orgasme. L'aspiration des cornets produit une mélodie fantastique et indescriptible tant elle est enivrante. Pour un peu je me surprends à me demander comment j'ai pu me passer de pareille symphonie avant !
Mais la dure réalité a tôt fait de me rappeler à l'ordre… nous avons en effet oublié de rebrancher le radiateur d'huile et l'atelier est en train d'être repeint à la Motul ! Reprenant tous deux nos esprits, nous coupons le circuit et nous attelons à trouver un récipient et une tonne de chiffons afin de nettoyer tout ça avant de nous remettre à l'œuvre.
Le carter a perdu beaucoup d'huile et Eric part chercher un bidon de la sienne afin de l'alimenter à nouveau. Je suis très surpris de le voir revenir avec une huile Carrefour premier prix (bien que 100% synthèse et d'indice 5W50 donc d'excellente qualité.) Mais je ne peux qu'avoir confiance en une huile qui servit dans le passé à lubrifier un moteur des heures durant à très haut régime - Eric s'étant fait une spécialité des courses d'endurance.

Le moteur redémarre sans problème maintenant que les carburateurs ont eu le temps de se gaver d'essence, mais le plus dur reste à faire ; il s'agit en effet de régler le ralenti des Keihin, chose ardue au possible même si d'autres sont plus pénibles encore à régler (les Dell'Orto pour ne citer que les plus connus.)
Deux vis de réglage indépendantes règlent tour à tour le niveau de cuve et donc la richesse du mélange, et la dimension des gicleurs d'arrivée d'essence. Une molette facilement accessible règle pour sa part l'ouverture des boisseaux. Si cette dernière est facilement réglable, il en est tout autrement des vis, et je laisse à Eric le soin de s'en occuper, même si ce dernier m'avoue ne point trop s'y connaître non plus dans la mesure où le ralenti est rarement une préoccupation de premier ordre en compétition…
A force de tâtonnements et de patience, nous réussissons à régler ce fameux ralenti, relativement plaisant lors d'un usage sur route et plus particulièrement quand survient un maudit feu tricolore. Eric m'explique que la moto mériterait d'être essayée avant remontage du carénage ; je lui propose de procéder lui-même à l'essai, étant donné qu'il connaît ce moteur par cœur. Je l'entends partir et arrive presque à suivre son itinéraire à l'oreille tant le desmo feule avec puissance. Mais au retour mon hôte m'explique qu'un problème de pompe à essence empêche vraisemblablement les carbus de prendre leurs tours. Il se fait tard et nous n'avons plus vraiment le temps de nous occuper de la monter, d'autant qu'Eric doit aller chercher sa fille à l'école et l'emmener chez le médecin avant la fermeture du cabinet (en moto cela va sans dire, même s'il s'agit seulement d'une Sucekiki 125cm3, péniblement embellie par la présence sur son top-case du fameux autocollant du DCF.)

Sitôt le maître de maison rentré, je prends des nouvelles de Cloé qui semble bien aller, puis nous passons à table. Je reçois de la part d'Eric des instructions rapport au montage de sa pompe racing Mikuni qu'il accepte de me donner, et qu'il m'invite surtout à ne pas oublier le lendemain en partant.
Le repas est frugal mais très bon ; il faut dire qu'Eric n'a pas eu de temps à consacrer à sa préparation, tout occupé qu'il était à préparer autre chose de bien plus passionnant. Myriam est pour sa part fatiguée de sa journée de travail et se couche sans trop tarder. Je ne me coucherai pas tard non plus cette fois-ci dans la mesure où j'ai emprunté à Eric sa montre afin d'avoir à disposition un réveil destiné à sonner à 3h30 du matin, heure à laquelle je planifie de m'extraire du lit, conscient de la route qui m'attend le lendemain au guidon d'une moto pour laquelle je dois tout rapprendre - d'autant que je dois pousser la route jusqu'à Marseille où je suis attendu au plus tôt. Je fausse donc compagnie à mes hôtes après leur avoir souhaité une bona note !

Nous sommes désormais samedi, il est 3h30. La journée s'annonce bonne dans la mesure où le ciel est très dégagé. Il a beau être encore très tôt, il est loin de faire froid et j'ai foi en mon seul t-shirt pour me tenir suffisamment chaud sous le cuir. Eric m'a entendu me lever et me prépare gentiment du thé puisque je n'aime pas le café - mais ne crache toutefois par sur un bon excitant compte tenu de la route que j'ai à parcourir.
Le temps de boire mon remontant, Eric a nettoyé mon casque et y a appliqué un anti-buée histoire de m'éviter toute surprise sur la route encore fraîche.
Je n'ai plus qu'à prendre quelques photos des fantastiques maquettes que fabrique son fils de toutes pièces, et me voici prêt à décoller - et c'est le cas de le dire ! La moto ne pose pas de problème pour démarrer, il faut dire que j'ai essoré la poignée à quelques reprises pour suralimenter les carburateurs en essence et ainsi faciliter la mise en route du desmo.

J'ai beau m'être beaucoup éloigné de la maison, je doute que les filles aient pu rester endormies compte tenu du feulement très excessif de la Ducati encore froide au moment du démarrage, et je m'en excuse aujourd'hui si elles me lisent.
Même froid, le moteur tourne fantastiquement bien, et j'hésite à lui faire prendre trop de tours trop vite. Mais je dois bien avouer que j'ai largement de quoi me faire dessus jusqu'à 5 000 tours tant une main de géant semble pousser constamment la moto véritablement transformée depuis son arrivée ici.
Je descends les trois kilomètres (après vérification) qui séparent sa bâtisse du village et arrive à un premier stop. La moto en profite pour caler et peine à redémarrer, me forçant - peut être à tort - à injecter à nouveau de l'essence dans les Keihin. Elle redémarre finalement mais ratatouille copieusement jusqu'au stop suivant où elle cale à nouveau. Sauf que cette fois-ci, impossible de la faire repartir.
Les carbus sentent très fort l'essence et j'en conclus que le moteur est noyé. Je me dis que seule l'installation de la pompe à essence racing pourra me sortir de ce mauvais pas, mais je n'ai pas d'outils sur moi. Ma seule alternative dès lors est d'appeler Eric afin qu'il m'en amène… sauf que mon téléphone ne capte aucun réseau, loin de tout que j'étais !
Je laisse donc la moto sur le trottoir, écœuré d'avoir à remonter la pente raide qui mène chez lui mais sans autre option. Quand soudain j'entends une voiture arriver, s'arrêter devant moi, et Eric en sortir, lequel avoue ne plus m'avoir entendu (tu parles d'une mélodie !) et avoir pensé que j'avais un problème.
Mon sauveur est encore en robe de chambre et me propose d'aller s'habiller plus chaudement avant de revenir équipé de sa remorque histoire que nous puissions monter la nouvelle pompe ; j'acquiesce bien volontiers, n'ayant pas d'autre choix et embêté malgré tout de lui imposer pareils emmerdements si tôt le matin. Le temps de fumer une clope, Eric est de retour et nous sanglons la Ducati afin de la ramener à l'atelier. La pompe est montée et la moto promet dorénavant de mieux fonctionner pour mon plus grand confort et le sien. Mais j'en viens à penser qu'après notre série de tests de la veille, une forte quantité d'essence a pu être perdue et mon hôte me propose donc de vidanger le réservoir de sa Série2 afin que je parte l'esprit tranquille car la première station 24h/24 est éloignée d'une bonne vingtaine de kilomètres. Le carburant est un mélange de SP95 et d'additif au potassium, car il est clair que de telles motos ne sauraient plus se contenter d'un trop faible indice d'octane.
Il est presque 5h du mat' quand la moto accepte à nouveau de démarrer, et je peux donc enfin quitter ce temple béni à la sauce bolognaise, non sans avoir mille fois remercié mon hôte et fait mes adieux aux chats et à ses belles motos.

Me voici donc parti vers Eccomoy, où je prends ensuite la route de Vierzon où m'attend l'autocroûte. La brume matinale est fraîche mais l'anti-buée fait son effet et j'arrive à rouler sans trop être gêné par cette dernière. La Ducati marche fantastiquement bien et j'ai peine à croire qu'il puisse s'agir de la même moto qu'à mon arrivée à St Mars d'Outillé. La poussée est très franche de 3 000 à 5 000 tours, limite à laquelle le moteur se met à délivrer une puissance phénoménale qui arrache littéralement de la route la SS et ce jusqu'à 8 000 tours, seuil à partir duquel il convient de faire très attention tant le débordement de couple fait effet et propulse la moto dans une autre dimension aussi jouissive que dangereuse. La moindre accélération scotche ma nuque contre le fond du casque et je sens mes bras qui tirent à m'en faire mal. J'ai peine à contrôler ma respiration tant le nouveau potentiel de la moto m'effraie et pourtant j'arrive petit à petit à m'y faire. A noter que j'ai tantôt profité des outils d'Eric pour redresser mon demi-guidon droit qui s'avérait asymétrique par rapport à l'autre, et que j'ai ramolli d'un tour la fourche que tant de couple risquait de faire sauter en courbe ; mais la moto déborde littéralement de puissance et m'invite à faire preuve d'humilité face à elle en toute circonstance malgré cette configuration à priori moins pointue qu'auparavant.

Le soleil ne s'est pas encore levé mais le lot d'émotions insoupçonnées qu'offre la Ducati kilomètre après kilomètre m'a ouvert l'appétit, et je décide de faire une halte au McDo de Tours. Le soleil commence à peine à pointer le bout de son nez quand je repars, content de voir que les Keihin arrivent presque à tenir leur ralenti maintenant que le desmo a eu le temps de chauffer. Mais la route est encore longue et je décide d'accélérer un peu mon rythme, ce que je ne me refusais à faire le ventre vide et les yeux recrus.

J'arrive à proximité de Contres quand le soleil finit d'apparaître et une très longue ligne droite qui s'apprête à traverser la ville m'incite à ouvrir un peu plus que de raison. La Ducati pousse plus fort encore que plus tôt dans la matinée car elle est désormais chaude, bouillante même si j'en crois le thermomètre d'huile qui frôle les 120°. Je décide donc de m'arrêter faire une pause sitôt arrivé en centre-ville.
Le premier feu de l'agglomération fait son apparition à quelques dizaines de mètres devant moi et une courte file de voitures m'en obstrue l'accès, ce qui m'incite à les dépasser. Habitué que je suis à m'assurer que les conducteurs - surtout à cette heure-ci - m'ont vu en plus de m'avoir entendu, je regarde machinalement en direction de leurs rétroviseurs ; mais je découvre sur leur visage un air halluciné et terrifié sans apparente raison, qui commence cependant à m'inquiéter.
C'est en m'arrêtant finalement à hauteur du feu tricolore que je découvre la raison de leur effarement… ma moto est en feu.

Tout se passe très vite dans ma tête et j'ai peine à me souvenir chaque détail et chaque pensée que j'ai pu avoir à ce moment-là, je me souviens simplement avoir spontanément coupé le circuit principal, poussé la moto hors de danger pour les automobilistes en cas d'explosion, et béquillé cette dernière avant de m'en éloigner. Mon cœur bat à 200 à l'heure et pourtant je dois rester calme ; souffler sur le feu ne sert évidemment à rien et je demeure parfaitement impuissant face à ce qui arrive. Mais les poivrots d'un bar à proximité ont saisi le désastre et ne peuvent s'empêcher de s'approcher, la clope au bec et leur haleine toute puante d'alcool. Un tel débordement de connerie humaine doublé du sentiment d'impuissance que j'éprouvais face à ma belle qui partait en fumée, me fait finalement hurler, lequel cri ne manque pas d'alerter un petit commerçant qui s'apprêtait à ouvrir son magasin. Dix secondes s'écoulent - les plus longues de ma vie assurément - avant que je le voie revenir équipé d'un extincteur, et une poignée de secondes suivantes l'incendie est neutralisé.

Je reste hagard et sans mot pouvoir dire, tout juste content de voir que je semble n'avoir souffert d'aucun dommage corporel, ni personne d'autre alentour. J'ôte mes gants et surtout mon casque car ce dernier est couvert de cendres et commence à me piquer les yeux. Le commerçant me demande si je vais bien et mon tempérament pondéré prend le dessus sur ma déchirure, si bien que j'arrive à lui répondre par la positive d'un ton plutôt posé et sûr de moi, lequel ton finira de le rassurer. Un passant me dit avoir appelé les pompiers et ces derniers font leur apparition dans les secondes qui suivent même si ces dernières paraissent durer une éternité. La moto est couverte de neige carbonique, le réservoir entièrement noirci et ses autocollants carbonisés. Je n'ose sur le moment imaginer l'état des pièces critiques du moteur, et m'obstine plutôt à essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer. Les pompiers ont déroulé leur lance, prêts à intervenir en cas de retour de flammes, mais je ne les vois même pas, trop occupé que je suis à m'en vouloir de n'avoir rien vu venir plus tôt. L'un d'eux finit tout de même par m'expliquer qu'il serait appréciable de débrancher un pôle de la batterie et j'accepte de m'exécuter, ne tolérant aucun autre que moi toucher ma belle dans cet état si critique.
Le réservoir est brûlant et j'emprunte à un pompier ses gants ignifugés afin de soulever ce dernier. Le spectacle qui s'offre à mes yeux est abominable. Le faisceau électrique entier a fondu, les cosses de batterie aussi - ce qui a peut-être sauvé l'allumage d'un court-circuit tardif, me dis-je sur le moment - mais l'acide sulfurique s'est entièrement déversé sur le moteur et possiblement dans les pipes d'admission. Les cornets ont évidemment fondus, la neige carbonique commence à attaquer le moteur et achève l'oxydation déjà alarmante. Comme si tout cela ne suffisait pas, l'acide surchauffé dégage des vapeurs très nocives et je ne peux rester proche de la moto tant ces dernières agressent mes conduits nasaux et me donnent envie de vomir. J'ai envie de pleurer mais je dois rester digne ; mes larmes n'arrangeront de toute façon pas les choses, et le plus important est tout de même que personne n'ait été blessé.

La gendarmerie a eu le temps d'arriver alors que je faisais le bilan de la catastrophe, et un des gradés commence à me questionner rapport à ce qui a bien pu se passer. L'explication est évidente au possible, je lui explique donc qu'un collier de fixation n'a pas tenu la pression d'arrivée d'essence et qu'il a du se dilater sous l'effet de la chaleur, débranchant du carburateur la durite d'essence qui a badigeonné le moteur et a fini par prendre feu. La dite durite de silicone pend bêtement au milieu et je m'approche pour la montrer au gendarme, mais les vapeurs d'acides se font pire avec le temps et la police m'invite à reculer, m'expliquant qu'il a contacté le garage Renault le plus proche afin qu'il envoie quelqu'un récupérer la moto.
Reste maintenant à présenter mes papiers. Je tends donc ma carte grise au gardien de la paix qui prend bonne note des informations qu'elle délivre, mais je me rappelle à l'instant que je n'ai toujours pas de carte grise… je lui explique donc que le numéro d'immatriculation n'est présentement pas enregistré à mon nom, et justifie tant bien que mal ce fait en commentant les difficultés que j'ai rencontré dans le passé pour me faire entendre par la Préfecture. Las de sa mine interrogative, je finis par lui avouer que de toute façon rien n'était plus homologué dans cette moto, que ma passion passait outre les considérations de légalité, que je ne comptais rien faire pour y changer quoi que ce soit maintenant, et qu'après ce qui venait de m'arriver j'étais probablement à l'épreuve des balles. Conscient que ma rage n'a sûrement d'égal que mon envie de fondre en larmes, le gendarme devient alors très compréhensif et m'explique qu'il ne va pas m'embêter avec tout ça compte tenu du drame que je venais de subir. Face à ma façon de parler de la Ducati, et certainement lointain connaisseur de la légende bolognaise, ce dernier va même jusqu'à me demander mon métier, convaincu que j'étais mécano de métier ! Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire en niant, même si je n'ai pas du tout le cœur à rire… il me propose donc sans plus tarder de monter dans sa camionnette pour me déposer au garage, et insiste afin que j'appelle la gendarmerie sitôt que la moto sera à nouveau en état de rouler, ne serait-ce qu'histoire de donner des nouvelles de moi. Je le remercie et sors de la camionnette après une courte balade, pressé de retrouver ma belle à l'agonie garée quelques mètres plus loin.

Après avoir prévenu mes parents et mes ami(e)s motard(e)s de ce qui s'était passé, en essayant autant que possible de ne pas les affoler, je commence donc à chercher des outils afin de me mettre au travail le plus vite. Le plus important pour moi est de stopper l'oxydation aussi vite que possible ; je demande donc aux mécaniciens la permission de me servir de leurs outils car je n'en suis pas pourvu, et ces derniers, devant ma mine défaite, acceptent de mettre à ma disposition tout ce qui pourra m'être utile, à savoir clés allen, clés plates, tournevis, mais aussi beaucoup de savon à bille et de chiffons, leur souffleur et une arrivée d'eau sous pression réglable.
A noter que ce fichu samedi 13 n'était vraiment pas un jour à sortir les motos, puisque le chef d'atelier qui vient d'arriver explique à ses collègues s'être planté sur son Hayabusa pas plus tard que dix minutes après moi, et à peine plus loin ! Je décide néanmoins de laisser ma superstition au placard car je dois me dépêcher de neutraliser l'oxydation.

La batterie dégouline d'acide et je manque de m'en couvrir les doigts en la retirant avant de la remettre à un des employés sur place qui me dit avoir un container spécial pour ce genre de matériel. Les carburateurs sont ensuite vite démontés mais je dois en premier lieu me débarrasser de la pièce d'alu soutenant les bobines d'allumage pour ôter les précieux éléments. Un amoncellement de fils a hélas fondu dessus et changé le tout en un bloc solidaire que je n'ai d'autre choix qu'attaquer à la pince coupante. Je décide donc de faire mon deuil du faisceau électrique - de toute façon parfaitement irrécupérable - et tranche dans le tas histoire de me faciliter la tâche.

Les bobines récupérées, je parviens enfin aux carburateurs donc les cornets ont fondus sans pour autant avoir coulés dans les pipes - à première vue tout du moins. Ces derniers démontés, je démonte entièrement la poignée des gaz histoire de pouvoir en désolidariser les câbles d'accélération. Il ne me reste alors plus qu'à calfeutrer les pipes de plastique étanche que du chatterton m'aide à tenir en place, en attendant de pouvoir rapatrier la moto sur Lyon pour finir le travail. Je décide de faire appel à une franchise de location de véhicules avec l'espoir de pouvoir ramener l'engin à Lyon par mes propres moyens pour ensuite laisser mon véhicule de prêt sur place, mais Europcar et Hertz n'ont aucun véhicule disponibles pour le week-end. Installer la moto sur un train est beaucoup trop cher, il ne me reste donc plus qu'à faire appel à la gentillesse de mes parents pour trouver une solution, et c'est finalement mon frère - initialement monté sur Lyon l'espace du samedi histoire de visiter le Salon de l'Automobile - qui loue un gros utilitaire et passe me récupérer. La route est longue et je l'attendrai jusqu'à 19h avant que nous puissions sangler la Ducati et revenir chez nos parents où la moto résidera le temps que j'aie fini de la remettre en état de marche.

Il est 4h du mat' quand nous arrivons enfin à Décines, je peux enfin aller me coucher après avoir remercié mon frère pour son dévouement salvateur.
Je doute arriver à dormir cette nuit…

Philippe